Il existe un pays où, même en plein cœur de
l’hiver, les peines sont douces et de la même étoffe dense que sont les brumes
qui s’attardent.
Il existe un pays où, même en plein cœur de
l’hiver, les larmes sont claires et vives comme l’eau des ruisseaux qui courent
à travers les sous-bois.
Le chagrin y a la rudesse et la franchise du
vent qui malmène les arbres nus et s’engouffre en feulant dans les maisons en
ruines.
Ne me dérangez pas, j’y dors,
Ne me dérangez pas, j’y rêve,
Et quand je m’y éveille, j’y cours, j’y danse,
j’y tombe, je m’y écorche les genoux sans que ça m’empêche d’aller plus avant à
travers les ronces, zébrée de sang et de boue, les cheveux embroussaillés,
l’air ensauvagé qu’ont les enfants gitans.
Foutez-moi la paix avec vos villes obligées,
avec les ambitions que vous avez pour moi, avec vos promesses d’amour au carré
dans des maisons carrées dans le grand lit carré du quotidien.
Vous finiriez presque par réussir à me briser
le cœur à force d’insister avec vos gueules innocentes...
Laissez-moi au dépouillement et à la rigueur de
mes chemins d’hiver.
Ce que j’y aime ? Tout.
Ce que j’y trouve de nouveau, chaque
matin depuis tant de matins ?
Tout, absolument tout, sans cesse renouvelé,
toujours parfait, de la vieille souche couverte de mousse à la corneille sur la
branche du chêne, du reflet sur la mare à la noirceur renfrognée du ciel qui
soudain se déride et laisse paraître le front blême d’un soleil convalescent,
des maisons murées dans un silence profond à la Creuse qui coule inlassablement
ses eaux sombres… Et d’exister, miraculeusement, au milieu de tout ça.
Souvent, cheminant, je touche l’écorce des
arbres. Ce n’est pas pour m’assurer qu’ils existent –ça, je n’en doute pas-,
c’est pour vérifier que je suis bien vivante moi aussi parmi eux.
Et je le suis, même en pleurs, même toute
barbouillée de ce chagrin que vous m’avez collé, même et surtout
en ces contrées que l’hiver s’acharne à résumer à des champs boueux bordés de
haies ratiboisées, à des forêts grelottantes et des villages fantômes.
Il a beau grincer des dents, se fendre de
quelques colères de vieux grincheux, il n’est pas si terrible, ce pauvre hiver
moribond, et je le crains bien moins que vos chimères.
Laissez-moi dormir,
Laissez-moi rêver,
Laissez-moi pleurer,
De ces larmes naîtront des fleurs.
J’ai vu la semaine dernière les premiers
perce-neiges –comme une ébauche de sourire angélique à ras de terre...
Ne comprenez-vous pas, j’attends simplement le
printemps...
Il faut parfois beaucoup de larmes, se vider le
cœur, se nettoyer les yeux jusqu’au fond, pour être apte à le
recevoir dignement, le printemps, si beau en ces contrées,
Beau et neuf comme le premier matin du monde
avec ses jacinthes sauvages, son explosion de vert, ses bois aux mille oiseaux
chanteurs,
Le printemps avec ses averses suivies d’or en
gouttes suspendues aux toiles d’araignées, ses ciels purs aux nuages effilochés
où tournent les rapaces...
J’attends le paradis, le vrai, je le sens qui
point déjà en moi quand la sève monte aux arbres, alors, chut, vraiment,
laissez-moi, c’est une grande chose qui se prépare en mille fourmillements,
Une chose comme une rupture, comme une
naissance,
Une chose comme un sourire dont la pureté
écorche,
Une chose qui marie l’éphémère et l’éternité,
Une chose qui proclame l’enfance souveraine.
Si vous ne voulez pas y goûter avec moi, prière
de ne pas déranger,
D’aller brandir ailleurs vos paradis de
pacotille.
Merci.
Héloïse
Texte et photographies Leica M3: Héloïse Combes 2015.
Ces mots, vos mots, impressions...ce que vous écrivez et ce que je ressens, je me sens moins seule dans mon Berry des brumes et des bois, à lire ce que vous êtes. Pour moi le printemps c'est" le petit frisson vert", quand les bourgeons s'ouvrent à peine et que le vert tendre pointe au long des branches. Merci Héloïse !
RépondreSupprimerCe Berry, c'est aussi ma Picardie mais bien plus âpre, bien plus outragée, pleine de blessures. Bien beau texte mais les autres existent, on ne peut les nier ni les abandonner...
RépondreSupprimer